Lettre ouverte – réponse de Piti au documentaire « Loverboys, les nouveaux proxénètes aux sentiments »

Le 21 septembre 2022, la RTS diffusait un documentaire nommé « Loverboys, les nouveaux proxénètes aux sentiments ». Dans ce documentaire, on voit de nuit des images du Boulevard Helvétique où travaille de nombreuses femmes, et qui ont été filmées à leur insu. Malgré le floutage des visages, les travailleuses du sexe filmées sont très reconnaissables, et associées malgré elles à la traite des êtres humains dont parle le documentaire. L’une d’entre elle est Piti, une travailleuse du sexe qui travaille de manière totalement indépendante sur le Boulevard Helvétique. Ci-dessous, Piti nous livre son témoignage sur les répercutions qu’a eu ce documentaire sur son travail. Ce témoignage a été envoyé à la RTS qui n’y a pas répondu.

« Bonjour,

Je m’appelle Piti et je suis l’une des travailleuses du sexe que vous avez exposé à peine floutée à une heure de grande écoute.

Avant de commencer, je tiens à vous dire que je vous écris sans colère, dans un état d’esprit positif et sans rien vous réclamer. Je sais que peu de personnes connaissent notre univers et je suis certaine que vous avez agi par méconnaissance des conséquences et non par envie de nuire.

Cependant j’aimerais vous amenez mon témoignage pour vous faire ressentir ma perspective et surtout que vous soyez consciente des conséquences que votre reportage a eu sur mon quotidien
Je suis travailleuse du sexe et fière de l’être et je n’ai aucun problème à m’exposer à condition bien entendu que le message soit cohérent avec mes pensées et mes principes. J’ai d’ailleurs témoignée par le passé pour la RTS, j’ai coanimé un podcast sur la prostitution, était présente sans cacher ou flouter mon visage sur différents médias (YouTube, TikTok et Instagram) …
Ce qui me gêne ce n’est pas d’être vu comme une TDS, mais que vous ayez associé mon image au terme de proxénète ….. Proxénétisme que je combats par toutes les voies possibles. En effet quasiment au moment de voir mon image, vous prononcez le mot de proxénète. Admettez que pour des spectateurs qui m’aurait reconnu le rapprochement et la conclusion est très facile et rapide.
Dans votre lettre vous dites que personnes ne peut me reconnaitre mais sachez que 4 de mes clients m’ont explicitement dit qu’ils m’avaient vu à la télé et qu’on a rigolé dans un repas entre copines quand plusieurs ont dit m’avoir vu au travail.

Cela pourrait rester rigolo si les 2 clients ne m’avaient pas demandé si je travaillais pour un proxénète car sinon ils arrêtaient immédiatement de me voir. Et cela est sans compter sur les clients que je n’ai pas vu car ils ne sont pas revenus et ceux qui ont annulés des rdv.
Durant les semaines qui ont suivi votre reportage et les semaines identiques de l’année dernière j’ai perdu 30% de mes revenus alors que sur les 2 mois précédents (en rapport avec l’année dernière) j’ai un revenu très stable. Je n’accuse pas le reportage d’être à 100% la cause de cette différence, bien entendu, mais quand même c’est une coïncidence bien étrange.
En conséquence de cette perte de revenu et comme je ne peux pas me permettre de perdre de l’argent si je veux payer mon loyer et vivre décemment, j’ai dû accepter de faire de prestations non protégées qui ont un revenu supérieur …. Prestation que je n’aurai pas faite autrement. En conséquence j’ai dû mettre ma santé physique avec des risques de MST pour boucler le mois.
Le monde de la prostitution est un monde méconnu et franchement c’était quasi impossible pour vous d’imaginer les conséquences de votre reportage et je n’ai aucune rancœur envers vous …. Et si cet incident vous aurais fait prendre conscience de certains points, je n’aurais pas pris de risque pour rien. »